La population Forestoise est demeurée essentiellement paysanne jusqu'au 18ème siècle. Les grosses « censes » étaient peu nombreuses (4 ou 5), la majorité des habitants occupaient un petit « louage » et se faisaient embaucher comme journaliers pour les gros travaux agricoles (fenaison, moisson) dans les villages voisins.

Dans la 1ère moitié du 19ème siècle, l'état civil le prouve, il y a de plus en plus de tisserands. Il s'agit de tisserands à domicile qui disposent chez eux d'un métier à tisser (l'outil).    Ainsi une statistique de l'An 9 (1800-1801) indique que 70% de la population de Forest est occupée aux travaux textiles, c'est la plus forte proportion de tout le secteur sud du FERRAIN. Ces ouvriers et ouvrières principalement, travaillent pour les fabricants de Roubaix qui leur fournissent le fil et les payent à la pièce. Une fois la pièce achevée, elle était chargée sur une brouette et ramenée chez le fabricant qui réglait l'ouvrier pour son travail à condition que le poids de la pièce fut convenable (une pièce mesurait en principe 96 mètres). C'est donc l'activité textile qui va expliquer l'accroissement considérable de la population de la commune qui passe de 250 habitants en 1800 à 754 en 1846. Ce triplement est lié, c'est évident, à l'essor extraordinaire de Roubaix à cette époque (8000 habitants en 1800, 31000 en 1846).

Dans la seconde moitié du 19ème siècle le caractère ouvrier de la commune se renforce, avec le passage de la voie ferrée Somain-Roubaix en 1881 et surtout par l'installation d'entreprises industrielles dans le village même. La plus ancienne est une blanchisserie-teinturerie installée par Martial MASQUELIER sous le second empire, ensuite peu avant 1900 s'installe rue des Roloirs, un tissage mécanique de jute, toiles d'emballage, toiles à sommiers : les établissements JOURET-LERAILLIER et Cie. Désormais la population trouve sur place une partie des emplois qu'elle allait chercher à Croix, Roubaix, Lannoy... 

 Jusqu'au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, ce seront les seules « usines » du village, chacune appelant son personnel au travail au moyen d'un « sifflet ». Pour disposer d'une main-d'oeuvre stable, l'un de ces patrons Mr Marcel JOURET fit construire deux rangées d'habitations ouvrières : l'une rue Principale du café de la Mairie à la rue de Moscou (5 furent détruites par un bombardement américain en 1942) et l'autre Impasse St Charles. D'autre part pour faciliter le travail féminin ce même patron fit ouvrir une « crèche », rue des Roloirs où les mères déposaient leurs petits et les reprenaient, une fois le travail fini.
    Pourtant il ne faudrait pas penser que cette population ouvrière avait perdu tout contact avec la terre. A Forest comme dans d'autres communes existait le système des « Portions Ménagères ». Il remontait au 18ème siècle : lorsque les marais de la Marque furent asséchés, les paroisses limitrophes reçurent chacune une partie des terres, en proportion de leur population. Forest étant lors de ce partage peu peuplé en reçut nettement moins que Ascq qui de ce fait sépare Forest de Tressin. Ce système des « Portions Ménagères » ne sera remis en cause qu'en 1967 lors de la naissance de la ville nouvelle. Il consistait à attribuer un cent de terre (=1/16ème de bonnier=886m²) aux ménages vivant dans la commune. Une liste des ayants-droit permettait d'accorder des « cents » de terre au fur et à mesure des décès, ce qui n'allait pas toujours sans contestation. Les comptes rendus des réunions de conseil abondent en réclamations et litiges au sujet de ces « portions ménagères ».
    Le plus souvent les ouvriers avaient près de leur habitation un petit jardin, mais ce jardinet était réduit par la présence d'un poulailler, d'un clapier, il ne permettait pas de produire des légumes en suffisance. C'est donc la portion ménagère qui fournissait l'essentiel de l'alimentation familiale.
Dès son retour du travail après avoir avalé son café ou sa bière, l'ouvrier forestois chargeait ses outils sur la brouette et le voilà parti sur sa « portion ».
 
    Avant les froids son gros travail c'est de faire des « bôs », avec son louchet il creuse de petits fossés parallèles rejetant la terre sur les espaces intermédiaires, ainsi les mauvaises herbes seront étouffées et surtout la terre s'égouttera facilement. Après le gel hivernal, cette terre deviendra beaucoup plus meuble, aussi dès les premiers rayons printaniers il peut à nouveau la travailler et commencer ses plantations : échalotes, ails, oignons, pour les pommes de terre il attend en général la St Joseph (19 mars). Pratiquement à partir de cette époque il effectuera chaque jour ou presque un temps de travail, pour répandre son purin, semer, sarcler. Certains trop pressés voient leurs récoltes frappées par le gel, il faut se méfier et attendre que les Saints de Glace soient passés.
    Quel plaisir de  ramener les premiers petits pois et puis il faut penser aux « rames » sur lesquelles pousseront les « pô de suc » à perche... Jour après jour les brouettes font la navette entre la maison et la portion ménagère. Voilà le temps de repiquer les poireaux, on ouvre à la houe des sillons et un à un on enfonce les plants, pourvu qu'il pleuve ensuite, cela évitera de ramener de l'eau sur la brouette...
    Enfin arrive l'arrachage des pommes de terre, grâce à Dieu elles ont échappé aux doryphores et au mildiou. Après l'avoir laissée sécher sur place on ramène la récolte à la maison pour la stocker à la cave à l'abri du gel. Pratiquement il n'est guère de repas sans pommes de terre, avec le pain et le lait, c'est la base de l'alimentation. Si la « patate » occupe une grande part de la portion, elle n'est pas seule car s'alignent en rangs serrés : poireaux et céleris ainsi que les carottes, il y à là tout ce qu'il faut pour préparer le bouillon du dimanche.
    Dimanche, jour de repos, jour de bistrot aussi, il n'est pas rare que vêtu d’un bleu tout propre notre ouvrier n'amène sa famille faire le tour de la portion, fier de ses beaux légumes mais aussi de la propreté de sa parcelle.
    Avec les années 1960/70 ce type d'ouvrier - paysan s'est éteint et avec lui c'est tout un style de vie fait de travail opiniâtre, d'amour de la terre nourricière et de parcimonie qui s'en est allé.
    Là où ceux-ci ont peiné se sont installés des lotissements, une école, un terrain de football, une salle de sport...    

Autres temps, autres moeurs...

(Olivier LAURIDANT Bulletin Municipal 2004)